Au moment où Suger édifie pour l’abbatiale de Saint-Denis une solennelle entrée à trois portails, il était tentant à Chartres de donner à la cathédrale une introduction aussi grandiose. Les dates exactes (vraisemblablement avant 1150), les étapes de construction et la fonction de ce massif occidental ont fait couler beaucoup d’encre et les historiens n’ont pas trouvé jusqu’à maintenant de véritable consensus sur ces questions, sinon que l’ensemble n’a sans doute pas été conçu de manière homogène dès le départ.
Quoiqu’il en soit, cette magnifique façade fut une innovation remarquable en son temps, avec ses deux tours enserrant un triple portail sculpté. Leur fière allure donne à la cathédrale de Fulbert une solennité nouvelle. Elles annoncent de loin aux pèlerins venus par la plaine de Beauce la silhouette dominante de la cathédrale. Entre ces deux hauts clochers, des salles servaient d’espace d’accueil pour les foules qui s’y rassemblaient avant de commencer les processions : les tours en effet sont reliées aux galeries souterraines de la crypte. Ce massif avait donc à la fois la fonction de porter au loin le son des cloches, de solenniser l’entrée dans l’église, de donner un point de départ aux liturgies des pèlerinages, et en même temps d’afficher par les sculptures les grands principes de la foi : on y célèbre les mystères du Christ vraiment homme et vraiment Dieu, son Incarnation, son Ascension, son Retour glorieux.
Sous cet exposé du triple mystère chrétien, les ébrasements des portes sont ornés des personnages de l’Ancien Testament, rois, prophètes et patriarches qui annoncent la venue du Christ. Il s’agit d’une vaste vision rassemblant dans un même programme l’Ancien et le Nouveau Testament, l’Ancien supportant le Nouveau. La figuration s’adapte à ce message de complémentarité des deux alliances : étirés en longueur jusqu’à épouser les formes des colonnes, les précurseurs du Christ forment le soubassement de la foi. Les statues sont taillées dans le même bloc de pierre que les colonnes : elles font corps avec l’architecture, selon un principe qui va se généraliser en Île-de-France gothique. Leur allongement contribue à leur conférer une présence surnaturelle. Par la stylisation des plis, la rigidité des attitudes, la grandeur austère des visages, l’adaptation parfaite des personnes à leur cadre, ces statues-colonnes appartiennent clairement au style roman du milieu du XIIe siècle. Pourtant déjà la calme sérénité des figures amorce l’apaisement de l’humanisme gothique.
Une frise de chapiteaux déroule la vie du Christ, présentée comme une histoire vécue : l’histoire animée de son humanité balance la majesté des grandes figures qui trônent aux tympans. Ces tympans exposent les trois grands moments du mystère du Salut. Au centre, règne le Christ de la fin des temps, tel qu’il est décrit dans la vision de l’Apocalypse, trônant entre les quatre Vivants, symboles des évangélistes : l’homme de Matthieu et l’aigle de Jean, le lion de Marc et le taureau de Luc. Sur le linteau, les apôtres sont associés à la vision d’éternité, tandis que, aux voussures, les anges et les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse acclament.
Au tympan de droite, Marie, assise entre deux anges, figure en trône de la Sagesse, telle la Majesté romane de Fulbert. La grandeur de l’Incarnation est exaltée par les scènes de l’Enfance du Christ (Annonciation, Visitation, Nativité, Annonce aux bergers, Présentation au Temple), représentées sur deux registres. Dès la naissance, la Passion est annoncée : debout sur l’autel où il est présenté, le Christ participe déjà à son futur sacrifice. Tout autour de cette sagesse divine se déploie sur les voussures l’exposé de la sagesse humaine. Les arts libéraux y sont répartis, comme dans l’Antiquité, en deux groupes : le trivium associe l’allégorie de la dialectique au portrait d’Aristote, la rhétorique à celui de Cicéron, la grammaire à Donat. Le quadrivium rapproche l’arithmétique de Boèce, la géométrie d’Euclide, l’astronomie de Ptolémée, et la musique de Pythagore.
Au tympan de gauche, l’Ascension et la Descente de l’Esprit sont entourées des travaux des mois et des signes du zodiaque, marques du temps quotidien et de la participation du travail humain à la Rédemption. Aux douze apôtres font écho les douze mois de l’année, aux quatre saisons les quatre évangélistes, sachant qu’au centre le Christ rassemble le cosmos, le cycle du temps, les travaux des hommes.